Un autre monde est-il encore possible?

Publié le par Architectedubien

       La nuit qui nous sépara des vaches de notre enclos à Yokaam remonte aujourd’hui de 13 ans. Ce fut un brusque réveil de la nature qui nous sépara. Des vents et des pluies d’une rare violence et d’une rare abondance s’étaient soudainement déchaînés du fond de la nature. Nous ne vîmes rien arriver. Le soleil s’approchait de son lit mais n’était pas encore  étalé, mais la nuit ait déjà pris le contrôle de l’espace. Nous étions sur le chemin de retour vers le retour des enclos quand une grande pluie précédée de vents de sable très violents s’est mis à se déverser  au moment où il ne nous restait que quelque mètre pour apercevoir les huttes des enclos de Yokaam.

Ces évènements se sont déroulés il y a de cela aujourd’hui 13 ans. Ils me séparèrent de mon premier ami et maître, un pasteur âgé alors de 95 ans. Ils m’ont séparé aussi d’un troupeau de bétail qui m’est toujours aussi cher et précieux que ma vie et celle de mon ami.

J’étais alors comme d’habitude en période de repos scolaire, chez mon ami Keynaak qui vivait dans la communauté des pasteurs qui ‘étaient retirés avec leur bétail dans la forêt que la cité avait délimité pour les éleveurs et pour conserver certaines espèce naturelles.

Je devais retourner au Lycée de la Vie dans la capitale de Pagaal à Guirore  la fin des vacances. Ma conscience et mon cœur ne pouvaient pas retourner au Lycée dans ces circonstances.

J’ai décidé de rechercher mes anciens amis et compagnons : un homme et une centaine de têtes de vaches. Je me souviens du nombre, il y en avait 486 dans l’enclos. Pourtant, nous n’avions pas le plus grand pasteur de Yokaam. Le meilleur ami de Keynaak, un peulh du nom de Moutar en comptait par milliers.

A la fin des vacances, j’ai décidé de poursuivre la recherche de mes compagnons.

Durant les premiers jours de la séparation et de la recherche, il me sembla marcher vers l’enclos car il me semblait que j’y entendais la voix de Keynaak et les meuglements des vaches que je pouvais reconnaître parmi les milliers de meuglements qui se firent dans ces évènements au sein des pâturages et des enclos. Mais jamais je ne suis arrivé aux enclos.

Il me sembla que quelque chose avait  changé au plus profond de l’espace et  de moi- même.

Depuis ce soir qui nous surprit et nous sépara à Yokaam, il me semble que la nuit et l’obscurité se sont définitivement annexé le monde. Le soleil y apparaît toujours et avec le maximum d’éclat, mais il me semble que quelque chose détourne et absorbe sa lumière avant qu’elle n’arrive sur la terre.

Il n’ ya pas une seule cité de Pagaal que je n’ai pas parcourue, espérant qu’elle serait l’asile de mes compagnons. Il n’y a pas une seule cité de Pagaal où je n’ai pas constaté qu’une vache au moins a été tuée par un boucher qui n’en fut point le propriétaire.

 

C’est un chien tout de blanc vêtu et d’une maigreur qui laissait compter ses côtes du dehors qui me guida au cours de ma recherche.

Je l’ai rencontré la première fois à Guirore, la capitale de Pagaal. Il était debout à quelque pas du comptoir d’un boucher qu’un regardait comme un pauvre affamé sans maître ni Dieu qui demande un secours d’urgence. L’ayant compris comme moi lorsque je vis ce bienfaiteur sur terre, le boucher a coupé un morceau des viandes qui remplissaient son comptoir et le lui a jeté avec une grande adresse, puisque le gigot bien gras tomba juste  à la hauteur de la bouche de l’animal. Le chien a flairé le gigot, a remué fortement la tête et les oreilles et s’est détourné du don. Il est venu jusqu’à mes pieds et s’est mis à les renifler. Il a tourné autour de moi et est venu ensuite se coucher près de moi. J’étais assis sur le perron d’une boutique pour prendre un repos à une dizaine de mètres du boucher. Très surpris sans doute comme de l’attitude de l’animal le boucher croyant qu’il était à moi, m’a dit « Ton chien doit être malade ».Je n’ai pas répondu. C’est un  client qui était au comptoir dans le rang des acheteurs qui se bousculaient autour du vendeur qui lui répondit «  C’est possible mais je ne crois pas qu’un chien propre malgré sa maigreur soit un chien malade. »Je l’ai vu sortir des rangs.

Cet homme m’a beaucoup  marqué. Entre lui et les autres, il y’ avait une grande différence. Quand je suis arrivé dans cette cité, j’ai trouvé un peuple surexcité. C’est lui qui m’a dit que durant les sept jours de cette semaine qui commençait sa cité célèbrera par de grandes festins privées et publiques, la semaine de la satiété selon leur religion : « chaque année, pendant au moins sept jours après toutes les récoltes des divers champs de la cité, partout sur toute l’étendue de la cité , la vie  devra manger en quantité et en qualité et en toutes sortes de comestibles »

Je me suis séparé de mon ami de Guirore au bord de la rive du fleuve Jotnaam Ndigil qui entoure le territoire de l’Etat de Pagaal.

Il est venu ensuite vers moi. Nous avons longuement discuté. Nous avons parlé de nous-mêmes, des autres hommes, de la nature, des sociétés humaines et des dieux.

Il n’  y a pas de doute. Ce sont des hommes qui ont tué ces vaches, à l’intérieur de Guirore ou à l’extérieur de Guirore et qui sont venus déverser les peaux et les sabots dans les eaux du fleuve. J’avais oublié mon chagrin lorsque nous avons découvert dans les corps des vaches et des taureaux que le fleuve rejetait et que je reconnaissais encore parfaitement, une tête de femme et puis une main droite et puis…

Ce fut encore dans les cités du monde, un matin d’horreur. Un matin d’un égarement manifeste de l’homme sur terre. J’ai quitté la rive du fleuve et mon ami lorsque la foule se réveillant et apprenant la nouvelle de ce crime d’un genre nouveau qui se développait dans leur cité et qui passe comme si les auteurs venaient du ciel inexplorable par leurs diverses polices.

Lorsque mon ami m’a demandé si c’était là toutes les vaches que je cherchais, je lui ai répondu qu’il en restait encore 3.

        Nous nous sommes quitté en nous disant qu’un autre monde est encore possible.

 

 

 

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